PRÉ-ACHAT DES ACIERS, LES ABSENTS ONT TOUJOURS TORT
Dès mes premières visites à Munich en 1971, j’avais retenu du
Directeur des constructions l’importance de préacheter les
aciers d’armature. Sinon, les compagnies d’acier se liguent
ensembles et nous devons payer ces aciers 3 Ã 8 fois plus cher
que leur valeur réelle. Dès les premiers calculs des structures,
j’écrivais aux bureaux d’études et je leur demandais de me fournir
les besoins de chaque projet en acier d’armature.
Pour les projets olympiques, la rareté de l’acier fut bien planifiée
et les résultats obtenus par ces planificateurs furent atteints et
même dépassés. Au moment de préparer notre budget à l’été de 1972,
cet acier d’armature se vendait $200 à $240 la tonne. Pour tenir
compte du fait que les travaux se réaliseraient en 1973, 1974 et 1975,
nous avions budgété $454 ou $460 la tonne pour ces aciers d’armature
du Stade et du Mât, d’où les commentaires des gens du Gouvernement
du Québec à l’effet que nous avions prévu des prix 38% à 40% plus
élevés que normalement. Au lieu d’un prix normal, mais un peu
plus élevé que courant de $300 la tonne, nous payions $800, $1000,
$1200 et $1500 la tonne pour tous nos projets du Parc Olympique,
non seulement pour le Mât.
« Pourquoi ne pas avoir acheté à l’avance ces matériaux pendant qu’il n’y avait pas rareté » ? À plusieurs reprises, j’ai tenté de préacheter ces aciers et j’en ai été incapable. Nous n’avions pas besoin des quantités précises, mais d’un ordre de grandeur et une répartition approximative des grosseurs des barres utilisées. M. Tout le monde pourrait penser qu’il est difficile d’établir ces données. Pas vraiment puisqu’il existe des ratios dépendant du type de structure et les ingénieurs savent les calculer.
Le problème ne se posait pas pour le Vélodrome, puisque nous avions procédé par soumissions publiques pour le gros œuvre (la structure) du bâtiment. Il appartenait à l’entrepreneur choisi d’acheter ces aciers. Quant au projet Stade-Mât-Piscines, c’était différent puisque tout était négocié contrat par contrat.
En dépit d’efforts répétés, je ne parvenais pas à obtenir les informations qui nous auraient permis de passer une commande. Il y avait toujours une objection. Des fois, l’objection provenait du bureau d’ingénieurs, d’autres fois des compagnies d’acier qui nous voyaient venir et qui s’empressaient à créer la rareté de la façon suivante. Dès que l’ordre de grandeur du nombre de tonnes requises fut connu, les fabricants limitèrent « les quotas » des compagnies fournisseurs d’acier, de façon à ce qu’aucune d’elles ne puisse fournir la quantité demandée, en prétextant qu’une rareté allait survenir. Et le tour était joué. D’autres fois, c’était notre Directeur du Service des Travaux publics qui ne se gênait pas pour me dire qu’il me manquait un petit quelque chose. Ou le Service des Achats de la Ville qui demandait à quel moment précis nous en avions besoin. La réponse était pourtant simple : « Achetez-les tout de suite et faites les livrer au chantier, nous nous en servirons lorsque requis ».
Le Service des Achats de la Ville devait s’adresser à plusieurs fournisseurs pour la même commande. Des pépins de dernière minute survenaient continuellement au point qu’aucun préachat ne put être fait.
Toutes ces démarches avaient duré plusieurs mois, de septembre 1973 à avril 1974 (8 mois). Le résultat fut nul et nous avons dû payer $500, $1200, $1500, $2000 et même $2200 la tonne pour des aciers qui coûtaient à cette époque environ $200 la tonne.
Les absents ont toujours torts
Vers avril 1974, les nouveaux arrivés, le mandataire-coordonnateur et le gérant des travaux, discutèrent du préachat des aciers qui n’avait pas été fait lors d’une réunion au bureau du Président du Comité exécutif à laquelle je n’avais été invité. « J’étais le grand responsable de ces commandes », leur a dit notre cher Directeur du Service des Travaux publics. Tous connaissent la chanson : « Puisque les absents ont toujours tort et que je n’avais pas été invité, je fus blâmé sur-le-champ, c’était tellement facile ».
Par chance, M. Taillibert assistait à la réunion et il connaissait toute l’histoire. Il prit ma défense et il m’appela aussitôt pour me demander d’apporter immédiatement mon rapport sur ce sujet avec tous les nombreux documents échangés. Tous se rendirent compte que j’avais bien fait mes devoirs et que je n’avais rien à foutre avec le résultat négatif du dossier, mais plutôt que tout avait été organisé de façon à ce que la Ville ne puisse pas procéder à ces préachats
Claude Phaneuf, B.A., B.Sc.A.
Un des trois pionniers concepteurs du Parc Olympique et du Stade.
Membre de l'OIQ de 1962 Ã octobre 2006.
Mai 2010