Stade Olympique Montréal- Discours tenu par M. Guillaume Gillet
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Le Stade Olympique de Montréal


Les textes

Jean Drapeau
A.JD.02 - Le M. Jean Drapeau que j’ai connu
A.JD.03 - Ses dernières années. Merci M. le Maire.
Roger Taillibert
A.RT03 - Qui est l’Architecte Roger Taillibert ?
A.RT04 - Ses honoraires et ses droits d’auteur bafoués
Claude Phaneuf
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Plusieurs autres textes
sont à venir

Discours tenu par M. Guillaume Gillet lors de la réception
de M. Roger Taillibert à l'Institut de France

INSTITUT DE FRANCE

ACADEMIE DES BEAUX-ARTS

DISCOURS PRONONCE DANS LA SEANCE PUBLIQUE
TENUE PAR L'ACADEMIE DES BEAUX-ARTS
présidée par M. Guillaume Gillet, Président de l'Académie,
le mercredi 7 décembre 1983

POUR LA RECEPTION DE

M. Roger TAILLIBERT
ELU MEMBRE DE LA SECTION ARCHITECTURE

par

M. Guillaume GILLET
Président de l'Académie

M. Roger TAILLIBERT, élu le 18 mai 1983 au fauteuil vacant dans la section d'Architecture, par suite du décès de M. Eugène BEAUDOUIN, est introduit sous la Coupole par M. Emmanuel BONDEVILLE, Secrétaire perpétuel. M. Guillaume GILLET prononce le discours suivant :

Monsieur,

Vous venez vous asseoir au fauteuil de l'un des membres les plus brillants, les plus aimés et les plus admirés de notre Compagnie. La présence parmi nous d'Eugène Beaudouin était un signe rassurant entre tous, une preuve qu'une Académie est autre chose que ce que l'on entend par le mot «académique », un témoin de ce que fut l'Académie à son origine, que je n'irai pas chercher au temps de Colbert ni de Richelieu ce qui est bien trop récent et trop officiel et trop en vase clos, mais dans les jardins où Platon, dans la banlieue d'Athènes, enseignait en plein air à ses disciples la jeunesse, l'intelligence et l'architecture de la pensée en jouant à remuer les idées et les esprits sur le thème de la vie en société. A la succession de ce confrère prestigieux plusieurs architectes de grande valeur avaient déjà fait connaître leurs candidatures lorsqu'au dernier moment vous décidâtes de présenter la vôtre, marque de votre caractère intrépide et de votre confiance en vous, et l'événement vous a donné raison : malgré l'âge, l'œuvre et les titres incontestables de vos concurrents, vous, le benjamin, obteniez au premier tour de scrutin la majorité des voix, succès assez rare qui me donne aujourd'hui le plaisir et l'honneur de vous accueillir et de vous féliciter au seuil de cette grande maison où m'accueillait il y a quinze ans Julien Cain quand j'avais votre âge et qu'Eugène Beaudouin avait celui que j'ai maintenant - (trente ans entre vous et lui, l'espace d'une génération) la différence est qu'il avait alors toutes les raisons de me considérer comme un apprenti, moi qui le voyais, ardemment désireux de marcher sur ses traces sans prétendre le rejoindre, comme un grand ancien de légende, et que j'ai aujourd'hui toutes les raisons, Monsieur, de vous considérer comme un maître, non pour moi qui n'aurai plus guère le temps ni l'occasion d'appliquer vos leçons, mais pour la jeunesse qui a la vie devant soi et pour qui votre œuvre est un exemple éloquent d'audace et un encouragement pressant et continu, stimulant comme l'aiguillon, à l'esprit de création.

Vous en avez conscience autant que moi, et bien davantage, car vous y tenez tellement que vous considérez qu'aucun détail de votre vie, hors votre chère création, n'a d'importance : origine, racines, souche, famille et circonstances, dates et lieux de naissance et d'études, broutilles, dites-vous, qui ne valent pas la peine qu'on en parle, vous m'avez refusé toutes précisions biographiques mais je vous préviens que cela ne facilitera pas la tâche de vos futurs historiographes. J'ai pu toutefois vous arracher quelques bribes que je livre aujourd'hui pour leur débroussailler la besogne et pour vous présenter à cette assemblée dont les membres, bien que vous soyez déjà fort justement célèbre, ne vous connaissent peut-être pas encore tous.

De mon interrogatoire «à la chansonnette» comme dirait le commissaire Maigret, j'ai retenu que vous m'avez avoué être né il y a cinquante-six ans, sans que vous ayez précisé le mois de l'année si bien que j'ignore le signe du zodiaque parrain de votre destinée, ce qui n'a d'ailleurs pas grande importance puisque, de toute façon, vous êtes un lion par votre crinière et par votre volonté, et, par votre profil impérial et votre envergure un aigle, oiseau rare que les astrologues n'ont pas prévu dans leur ménagerie. Vous êtes né à Châtres-sur-Cher, non loin de Vierzon, tout près de Mennetou qui a conservé ses remparts du XIIIe siècle, ses portes fortifiées et ses maisons telles que les a vues Jeanne d'Arc lors de la halte qu'elle y fit sur la route d'Orléans. Votre père, comme celui d'Antoine Bourdelle, était maître ébéniste. Charles Péguy fils d'une rempailleuse de chaises avait compris auprès d'elle la beauté de l'ouvrage bien faite, vous avez connu dès l'enfance le métier noble, propre et précis des orfèvres du bois qu'avaient pratiqué à leurs débuts de grands architectes tels qu'Alvar Aalto et Marcel Breuer enfants des forêts scandinaves comme vous l'êtes de nos forêts de Sologne. Vous aviez commencé vos études au collège de Romorantin, lorsqu'éclata la guerre, et que, la défaite venue, la ligne de démarcation traversant la propriété de vos parents, leur ferme à cheval sur le Cher comme Chenonceaux, devint un passage secret mais très fréquenté par les aviateurs anglais parachutés, les résistants et les juifs persécutés, et lorsque cette ligne fut abolie par l'occupation totale du territoire, dix militaires allemands étant venus élire domicile sous votre toit familial, vous avez préféré leur brûler la politesse ainsi qu'au service du travail obligatoire et prendre le maquis, ce qui est une rude et fière école pour un garçon de 16 ans.

La paix revenue, l'architecte des Monuments historiques, professeur à l'école Boulle, Léon Caillet pour qui travaillait l'entreprise de votre père au château de Blois, ayant compris vos dons, vous engagea à monter à Paris pour y préparer l'admission à l'école des Beaux-Arts dans l'atelier d'architecture Héraud Boutterin et Chappey, atelier solide et sérieux dont deux des patrons furent mes amis et qui vous ayant appris comme ils savaient le faire la grammaire des ordres classiques vous permirent d'être reçu en 1949. Ambitieux et désireux de réussir une brillante école, vous avez alors changé d'atelier et vous vous êtes inscrit chez Lemaresquier, votre école fut brillanté en effet puisque, au bout de cinq ans, vous avez remporté votre diplôme avec la mention Très Bien, après avoir obtenu 30 valeurs en première classe alors que le règlement n'en exigeait que 10, et êtes monté trois fois en loge pour le Concours de Rome. L'atelier Lemaresquier, ce n'était pas deux têtes sous un même bonnet, Noël et le grand Charles, ni deux hommes sous un même nom, puisque le fils l'avait scindé en se donnant la particule, mais, association intellectuelle à laquelle présidait comme le Saint-Esprit l'ombre tutélaire de Victor Laloux, c'était une Trinité. Le rôle du fils, qui fut votre vrai patron, n'est pas confortable en ces circonstances, oui le père a souhaité et obtenu qu'il portât l'habit vert en même temps que lui, mais, entre parenthèses, c'est une solution plus coûteuse que l'héritage, oui, le père a souhaité et obtenu qu'il prît la suite de son atelier, mais il ne pouvait s'empêcher d'y revenir encore et de saper ainsi (peut-être innocemment, peut-être à plaisir), son autorité, oui le père a souhaité et obtenu qu'il prît le relais de son cabinet d'architecte mais il y avait entre eux un contrat d'hommes d'affaires. On peut dire que, grâce à son père, Noël a eu la chance d'être poussé en avant, mais aussi le tourment d'être l'enfant chargé de chaînes. J'ai déjà eu l'occasion de dire combien il est difficile d'être le fils de quelqu'un après la mort de ce quelqu'un, combien l'est-ce davantage de son vivant, surtout lorsqu'il est capable de rompre un entretien en disant tout à coup : «Pardonnez-moi de regarder ma montre, mais dans cinq minutes, je vais avoir 100 ans!» Noël, par sa prestance, sa volonté, son caractère a su exister dans l'ombre de Charles et s'affirmer en lui-même comme un être de race.

Votre propre caractère a, semble-t-il, suscité face à lui quelques affrontements et c'est plus volontiers au père, que vous avez connu octogénaire, que se rattachent vos souvenirs d'atelier, à ce grand vieillard au charme ensorcelant qui disait un jour à vos anciens devant notre cher et si regretté Jean de Mailly : «On me reproche de manquer de goût dans ce que je construis, mais ce n'est pas là que je mets mon point d'honneur, c'est en vous, mes enfants, car mon œuvre, c'est vous. » Elève de Noël, vous êtes un enfant de Charles sur lequel a soufflé l'esprit de Victor Laloux dont les ouvrages surchargés à la mode de son temps s'imposent néanmoins toujours par leur masse magistrale et leur poids où survit quelque chose du pesant de la Rome antique ; suivant le sens de votre époque, vous avez effacé l'ornement ; suivant l'enseignement du maître, vous avez conservé la masse et fait triompher dans toute la pureté de son dépouillement le volume. Voilà comment l'on pourrait résumer pour conclure un exposé sur votre carrière l'originâlité de votre œuvre qui vous a distingué principalement à l'attention du monde par vos constructions sportives, mais nous n'en sommes point à la conclusion et je vous reprends à vos débuts pour montrer comme tout se tient et s'enchaîne et va vite avec vous, vite, mais non facilement, non sans épreuves, mais grâce à votre courage, à votre ardeur au travail et à votre discernement.

Maintenu au secret dans la loge du château de Fontainebleau où vous participiez à votre dernier concours de Rome au nom du règlement qui interdisait tout contact extérieur, vous n'avez appris qu'en sortant que votre père était mort et enterré depuis trois jours et j'en ressens, comme nous tous votre blessure - c'était en 1959, quatre ans après votre diplôme dont vous aviez choisi le thème «une piscine à Deauville », pourquoi, je n'en sais rien, et peut-être vous non plus, mais c'était le choix de votre destin. Vous aviez sans doute rencontré au hasard de vacances au bord de la mer le directeur du Casino, M. Gilbert, qui vous a entretenu du problème difficile qui lui était posé par l'édification nécessaire d'un ensemble sportif et fonctionnel dans un site conventionnellement protégé sous l'égide du style dit normand imposé dans ces lieux comme la tenue de rigueur exigée dans les cérémonies officielles : habit, uniforme, décorations et pans de bois pour la Normandie. Le projet anticonformiste que vous en conçûtes vous valut les félicitations du jury du diplôme, ce qui prouve que les juges de l'école des Beaux-Arts n'étaient pas trop encroûtés, d'ailleurs j'étais des leurs et je puis, au moins pour eux sinon pour moi, en témoigner mais vous ne considérâtes pas qu'un diplôme, même couronné d'une mention «très bien» vous octroyait la science infuse ni l'expérience de votre métier et vous eûtes raison ; grâce aux bourses de voyage auxquelles vous donnait droit votre belle école d'aller voir un peu ce qui se passait en Suisse, en Finlande, en Amérique et au Mexique, et de faire des stages à l'école polytechnique de Stuttgart, aux ateliers d'Alvar Aalto, de Walter Gropius, de Frank Lloyd Wright et de Félix Candela, bref, d'accomplir dans votre vie professionnelle naissante l'équivalent du tour de France des compagnons du Moyen-Age, c'est-à-dire, vous l'avez compris, comme vous avez compris l'esprit des temps modernes, le tour du monde. Cela ne veut pas dire que les auteurs de nos cathédrales aient ignoré l'Orient ni l'Extrême-Orient dont leur invention fut tout imprégnée et que Christophe Colomb tenta de rejoindre par l'Occident, mais l'osmose était plus lente et plus indirecte, vous l'avez voulue immédiate, et comme aurait dit Sonia Delaunay, simultanée.

Autant vous êtes réservé sur vos débuts, comme s'ils ne vous concernaient pas du tout autant en revanche, il me semble que vous pourriez être intarissable sur vos réalisations dont vous connaissez tenants et aboutissants mieux que personne et bien qu'il m'apparaisse que vos œuvres soient assez éloquentes pour parler en votre nom, je vous sens toujours prêt à parler pour elles, ce qui est passionnant. J'ai été témoin, voilà bien des années, du mutisme d'Henry Prost étranglé d'émotion et de timidité, incapable de proférer dans un sanglot même le mot merci pour répondre au ministre André Marie qui, venu au nom du gouvernement le féliciter, en inaugurant l'exposition de l'œuvre de sa vie qui à l'école des Beaux-Arts célébrait ses quatre-vingts ans, lui dit : «Maître votre émoi me prouve votre jeunesse », je ne crois pas qu'aujourd'hui ni dans 25 ans, lorsque vous aurez cet âge vous risquiez d'être bâillonné par ces troubles enfantins, votre jeunesse est plus affirmée, et je regrette que la parole ne vous soit pas donnée ce soir pour parler de vous, ce que vous feriez mieux que moi, elle vous sera donnée tout-à-l'heure pour parler d'Eugène Beaudouin, ce que vous allez faire certainement mieux qu'il ne l'eût fait lui-même, mais je souhaite et je vous demande que bientôt vous nous parliez de votre œuvre dans une conférence illustrée de projections éclairées de vos commentaires vécus à laquelle nous prendrons le plus vif intérêt. La coupole sous laquelle nous nous trouvons se prêtant mal à ce genre d'imagerie, vous devrez vous contenter de l'évocation verbale, abstraite, et trop impersonnelle que j'ai la mission d'en faire dans mon rapport à cette assemblée et qui sera certainement plus pâle, moins informée, mais, vous devez bien vous y attendre, Monsieur, très sincèrement et très délibérément enthousiaste. Et je vous en donne la raison sans ambages : elle est patriotique et confraternelle à la fois, car dans un temps où on laisse dire un peu partout, et surtout en France hélas et en haut lieu, et cela ne date pas d'hier, qu'il n'y a plus d'architectes français, il est réconfortant pour l'un des leurs de savoir que l'un des siens a été distingué par plusieurs Etats étrangers où son talent porte haut pour notre fierté nos couleurs.

C'est en 1965, dix ans après votre diplôme, alors que vous alliez atteindre la trentaine, que l'occasion se présenta d'en traiter le sujet dans la réalité : l'ensemble de thalassothérapie et la piscine couverte de Deauville. Du tremplin de ses plongeoirs vous preniez votre essor pour la suite éblouissante de bonds et de rebondissements qui n'a cessé depuis ce temps de scander votre carrière dans un enchaînement dont le crescendo justifie la sagesse et l'énergie avec lesquelles vous aviez su retenir si longtemps votre élan - comme un athlète, vous aviez développé et concentré vos forces, comme un sage, vous aviez discerné le champ où elles pourraient le mieux s'exercer pour battre des records, car c'étaient bien des records que visait votre ambition - en choisissant pour cible le thème des sports, vous aviez visé juste et j'arrête ici ma comparaison entre la tête et les jambes, car c'est en grand poète que vous l'avez traité, en grand poète et en grand compositeur.

Deauville, Font-Romeu, Chamonix, Montréal,
Dans ces quatre noms là, je vois votre idéal,
Que ces alexandrins dans ma prose amicale
Evoquent de ces noms la suite musicale
- Je les prends parmi vingt, mais dans tous vos paris,
Je ne voudrais surtout pas oublier Paris,

et je vais tenter en un quart d'heure de définir ce qu'ils représentent dans votre œuvre que je ne puis retracer tout au long,

Car dans votre infini,
Je pense qu'en un jour je n'aurai pas fini.

Ils ont plus d'un point commun, ces noms dispersés sur la carte de France et sur la mappemonde, qui expriment chacun une étape de vos recherches et de vos trouvailles : le sport, bien entendu, mais aussi le nom d'un maire attaché à sa ville, celui d'un site à respecter, un climat naturel et humain difficile, un délai diabolique, un crédit limité, une bataille livrée, une victoire remportée. Couvrir à Deauville un bassin de natation par le toit de chaume traditionnel en ces lieux par respect de ce site, c'était dans l'ordre des choses possibles, réaliser ce toit folklorique sur 50 mètres de portée sans dépasser au faîtage les sept mètres imposés comme limite de hauteur à ne pas transgresser pour le même respect du site, c'était dans l'ordre des choses impossibles et vous l'avez fort bien fait comprendre aux tenants locaux du fameux style régional qui arguaient de son application généralisée et adoptée jusqu'à la gare du chemin de fer en leur répondant : si la gare de Deauville est en effet de style normand, les trains qui y viennent ne le sont pas. Et, de ces opposants de la première heure, votre réussite vous a fait, suprême succès, autant de partisans de plus : ils sont fiers aujourd'hui de votre élégant berceau côtelé qui accueille si heureusement la lumière changeante de leur beau rivage qu'elle y joue pour l'œil des promeneurs des célèbres planches comme sur les cannelures d'une coquille et pénètre si généreusement sous la voûte dont le profil écrasé risquait de faire un sombre tunnel, que les nageurs, même par temps gris, y viennent prendre à couvert des bains de soleil.

Cette conciliation, j'allais dire cette réconciliation des contraires dans une solution si simple en apparence qu'elle semble évidente et si bien venue qu'elle charme tout le monde est la marque de votre talent et se trouve déjà contenue tout entière dans cette première œuvre qui fut d'emblée reconnue comme un chef-d'œuvre par le Musée d'Art Moderne de New York qui le signala par une couronne à l'attention de l'univers et de vos compatriotes. Solution simple en apparence, mais non dépourvue de complexité. Les contraintes des données que vous dominez d'instinct par les croquis où vous dessinez à la pointe du crayon ou de la plume les formes et les sections des voiles, des coques et des structures que vous dicte votre intuition naturelle, ces contraintes, vous les retrouvez réfugiées et tapies dans la matière avant même la mise en œuvre de votre solution qui exige en contrepartie l'application très subtile de la précontrainte et de la post-contrainte dont Eugène Freyssinet a créé la géniale théorie qui a fait naître cette nouvelle ère de l'architecture du béton armé dont vous êtes l'un des jeunes maîtres, avec votre dévoué collaborateur le polytechnicien Louis Billotey, mais qui engendre une séquelle diabolique de calculs dont l'ordinateur peut seul, en un temps humainement admissible, venir à bout. Vous l'avez compris et n'avez cessé de faire appel à l'assistance de ce mystérieux robot depuis l'étude des cylindres obliques à section variable de votre piscine de Deauville dont la définition est sortie, dites-vous, de 114 équations linéaires à 114 inconnues, simple coïncidence, sans doute, avec le nombre des sourates du Coran, mais cet ordinateur, vous l'avez si bien apprivoisé qu'il prend vos données comme paroles d'évangile et vous rend tout armées, mais non point modifiées, les formes pures qui sont nées de votre cerveau. Ce don de voir dans l'espace et de concevoir infailliblement ce qui doit être et de le savoir et d'en être sûr avant toute preuve, c'est un don rare, un don qui porte un nom trop galvaudé aujourd'hui dans la conversation courante pour qu'il y ait grande valeur, mais qui, dans un discours et dans ces lieux risque de faire rougir votre modestie, et je l'emploie en m'adressant à vous avec toute la pudeur et le respect qu'il mérite comme vous, c'est le génie. « Je ne cherche pas, je trouve», disait Picasso, et Jean Cocteau : «Tout poète porte en soi un ange dont il est le gardien. »

Sachant combien fragile est une idée naissante et vulnérable aux critiques, aux objections des bons apôtres qui sous prétexte que «cela ne s'est jamais vu », que «c'est impossible », que «cela ne va pas tenir» ou que «ce sera trop cher», au nom de la compétence et de l'expérience peuvent d'un mot la briser dans l'œuf, la volatiliser ou l'estropier, ce qui est pire, gardien de votre ange, vous êtes le vaillant défenseur de vos idées et le ciel qui vous a donné de les concevoir vous a donné par surcroît l'énergie de vous battre pour elles contre les ennemis de l'imagination : pas commode, ce Roger Taillibert, tant pis pour eux, tant mieux pour l'architecture et tant mieux pour nous. Vous savez lutter contre les hommes qui vous contredisent, mais vous savez aussi lutter avec eux contre les éléments qui vous contrecarrent, et pour cela vous êtes un entraîneur d'hommes, car ce n'est pas à vous tout seul que vous avez construit vos œuvres toujours réalisées dans un temps follement bref et par des temps follement difficiles : c'est par l'enthousiasme que vous avez su communiquer aux entrepreneurs et à leurs équipes d'ouvriers que vous avez pu réaliser en moins de six mois la piscine de Deauville dont le chantier fut envahi deux fois par de grandes marées et en trois trimestres les installations sportives de Font-Romeu, à 2000 mètres d'altitude, malgré des chutes de neige. Ce programme de Font-Romeu exigé par l'entraînement de nos athlètes sous une pression atmosphérique analogue à celle de Mexico où devaient se disputer les épreuves de la dix-neuvième olympiade vous amena à étudier et à mettre au point la technique de la préfabrication qui est devenue votre voie royale. Il n'était pas pensable de mener en haute montagne en une saison un chantier du type traditionnel, vous avez décidé de préfabriquer dans la vallée, à Toulouse et à Perpignan, les éléments de vos édifices et de les couler en usine par pièces détachées acheminées par camions et assemblées sur place comme un jeu de meccano.

Votre réussite, sportive par destination, mais aussi sportive dans son esprit, car vous aviez battu un record contre la montre, vous apporta presque simultanément deux commandes également sportives, également merveilleuses, et également contrastées : Deauville en bord de mer, Font-Romeu en montagne, Paris en bord de Seine et Chamonix en montagne. Le ministère des Sports ne vous quitte désormais plus des yeux. Il est toujours en retard et vous arrivez en avance, vous êtes son sauveur, vous êtes son messie. Je commence par Chamonix, qui ne vient peut-être pas tout à fait à sa place dans l'ordre chronologique, mais s'y trouve mieux dans l'ordre de mon propos, qui cherche à vous suivre dans le dédale de votre carrière où je vois bien que tout s'imbrique et se superpose, mais s'enchaîne sans jamais se brouiller, comme dans un «slalom» ascendant. Au maire, Maurice Herzog conquérant de l'impossible et vainqueur des cimes, vous avez au pied du Mont-Blanc, pour répondre à son progra mme d'un centre sportif et culturel, écrit dans le béton un poème de la montagne. Le plan, tracé sur une maille triangulaire équilatérale mais à bases variables développe le thème musical du fameux tricorne de Zehrfuss, Camelot et de Mailly, qui reste l'élément majeur du quartier hélas trop peu parisien de la Défense, ce plan engendre par le jeu de ses voûtes sphériques tronquées, par le jeu de leurs dimensions différentes, et par le jeu des différences du relief qui épouse les déclivités ou les escarpements du terrain, un concert des formes, ce plan qui pourrait sembler à première vue trop systématique et trop corse té, ce plan avec sa raideur et ce qui, parce que vous l'avez vu et entendu d'abord, en surgit dans l'espace, ce plan inattendu a fait chanter dans la nature magistrale une symphonie dont vous étiez l'âme, qui accompagnait un ballet des volumes que vous avez conçus.

« L'âme et la danse », voici que je m'attache une fois de plus à la pensée de Paul Valéry qui sentait la poésie comme une architecture et l'architecture comme la poésie. Pourquoi ai-je parlé d'un ballet, c'est parce que les formes ou plutôt les gestes que vous avez imaginés s'élancent et bondissent et s'envolent et retombent, puisqu'il faut bien en arriver là sans qu'il y paraisse quand on a choisi pour métier la dure profession de danseur étoile. Profession, non seulement profession de foi, mais vocation, c'est le signe tout à fait inéquitable du talent et des dispositions préalables, c'est la grâce de Dieu qui ne demandera jamais à un cheval boiteux de courir cent mètres à moins qu'il ne s'agisse de jouer à qui perd gagne. Nous voici, Monsieur, lancés sur les pistes ouvertes à vos courses de favori joué à cent contre un par les responsables de villes assez considérables dans le monde qui s'appellent Paris et Montréal. Deux folies, deux choses raisonnables, deux chefs-d'œuvre qui se sont engendrés l'un l'autre. Le problème du Parc des Princes était une improvisation bizarre : il s'agissait de reconstruire un stade démoli par la présence inéluctable d'une autoroute, sans entraver la circulation des voitures, mais sans arrêter pour autant le déroulement des compétitions sportives, tout en abritant 50000 spectateurs bien assis et en offrant aux caméras de télévision la transmission directe des images à quelques millions d'autres - question difficile - le grand auvent elliptique de cinquante mètres d'encorbellement que vous avez conçu pour y répondre, monté par voussoirs préfabriqués et précontraints attira sur vous, au cours de sa mise en œuvre, tant avant son achèvement l'œuvre était déjà convaincante, l'attention du Maire de Montréal qui, soucieux de ses jeux olympiques avait envoyé autour du monde ses ingénieurs pour comparer à Tokyo, Mexico et Munich ce qui s'était fait récemment de mieux dans le genre - c'était pour ainsi dire un concours d'idées sur pièces réalisées - et c'est par ce chantier inachevé que vos idées ont gagné la partie - gagnée par le choix de l'homme et de son imagination, car il ne s'agissait pas de reproduire ce qu'il était en train de faire, mais de lui demander d'inventer ce qui était à faire.

Vous l'avez fait pour le mieux envers et contre tous dans le climat terrible d'un pays où l'hiver s'étend sur six mois de neige et de gel et où la défense des procédés de construction et des matériaux mis en œuvre entraîne des pressions syndicales capables de mettre en mouvement tout l'arsenal homicide et occulte des plus redoutables romans de la Série Noire. Adopter le béton dans des lieux où l'acier est le roi du marché, c'était une provocation qui vous contraignit à emprunter des ruses de Sioux, pour acheminer nuitamment les moules venus de France par une voie détournée dans une usine fortifiée et défendue par des gardes vigilants aux alertes à la bombe ; qui eût cru que l'entreprise pacifique de Pierre de Coubertin pouvait susciter de telles, angoisses, il y avait hélas de sanglants précédents. Le Maire de Montréal, M. Jean Drapeau, le Maire-Drapeau vous a soutenu et protégé, même de la susceptibilité de vos confrères locaux et l'œuvre que vous avez conçue pour lui témoigne aux bords du Saint-Laurent à la fois pour l'honneur du Québec et pour celui de la France. Car dans ce pays de langue française qui nous est aussi cher qu'une province de notre sol, les techniques françaises que vous utilisiez ont introduit sur votre chantier dans une corporation professionnelle de langue anglaise des mots de passe inéluctablement français, si bien qu'un ouvrier, pour répondre à son maire qui l'interrogeait sur ce qu'il retenait de cette grande aventure, eût ce mot de la situation : « C'est que le français ne sert pas seulement à parler d'amour.» Mot superbe! Si le français ne pouvait servir qu'à parler d'amour et si tout le monde le parlait, la paix et le bonheur universel sont assurés, mais le stade de Montréal, au delà du français, au delà du langage même de la technique est une œuvre d'amour, et c'est votre honneur de l'avoir conçu. Vous ne l'avez pas conçu d'un coup, je ne veux pas dire qu'au moment de la question posée vous n'avez pas pensé aussitôt à la réponse, mais la gestation de cette réponse lumineuse vous la portiez en vous depuis longtemps par d'autres questions préalablement posées qui vous y conduisirent dans la démarche singulière de votre destin qui vous porte à mûrir fortuitement, semble-t-il, mais dans un ordre qui apparaît si l'on regarde en arrière très logiquement établi les fruits de votre fertile imagination.

J'ai parlé de dédale tout à l'heure et même de slalom pour décrire votre parcours c'est-à-dire de labyrinthe, je vais tâcher d'attraper pour conclure, votre fil d'Ariane, j'ai parlé de danseurs aussi, avec ce fil nous arrivons aux funambules : ce sont des images, ce sont les thèmes de votre inspiration créatrice : chercher et trouver une issue à un problème embrouillé, franchir un espace par l'architecture avec cette élégance divine qui fait oublier à ses frères humains la pesanteur. Le fil, je crois en avoir trouvé le bout, il est à Deauville entre les mains de Messieurs Gilbert, Lucien Barrière et François André, propriétaire des casinos de Deauville et de Cannes, qui me dit un jour que le secret de sa réussite était de n'avoir jamais fréquenté que des gens riches, mais on sait bien que ce n'était pas dans les salons de jeux ni à la roulette qu'il avait mérité la médaille militaire entre 1914 et 1918. Cet homme courageux vous a fait confiance dès votre première prouesse et vous en a proposé une seconde, couvrir un théâtre de plein air au voisinage du casino de Roger Séassal au Palmbeach de Cannes en liaison avec l'excellent et talentueux ingénieur allemand Frei Otto, disciple de mon si cher et regretté ami Bernard Lafaille, car il ne faudrait pas tout de même à vous seul tirer toute la couverture, vous avez conçu par un système arachnéen de câbles tendus sur un mât oblique un mécanisme capable de vêtir et dévêtir en quelques instants l'espace, si bien que vous avez été, plus fort que nos grands couturiers, le premier inventeur d'une architecture assez vivante pour s'habiller toute seule. Cette idée poétique et ravissante, éminemment surréaliste, mais réalisable et réalisée, vous apporta toute une séquelle de commandes successives, car miracle supplémentaire, elle apportait aussi la solution la plus économique au problème, étudié depuis longtemps, mais jusque là jamais bien dominé, de la couverture mobile des bassins de natation dans les contrées au climat variable telles que Paris, Lille et Luxembourg et c'est le mariage de ces draperies, de ces voiles de fée avec l'anneau magique de votre Parc des Princes dont le Maire Jean Drapeau a voulu célébrer les noces à Montréal, images de rêve ou métaphores ? Non point, mais formes vraies et raisons pratiques ; la poésie naquit ici de la pleine réalité. Le climat du Canada n'est pas variable, il est tranché : six mois d'un rude hiver, six mois d'un rude été et le sport qui s'y pratique de préférence ne figure pas au programme des jeux olympiques, c'est le base-ball où le trajet de la balle dans sa parabole peut atteindre 70 mètres de hauteur.

La dépense engagée pour le court délai des olympiades devait être un placement pour l'avenir, un bon investissement : il fallait, par ciel ouvert ou fermé, par tous les temps et toutes les températures, permettre aux Canadiens d'assister plus tard à leur jeu favori, et c'est le jet de la balle et son spectacle qui ont dessiné dans votre inspiration les courbes du plan et des coupes du stade de Montréal, formes révolutionnaires ou plutôt évolutionnistes, formes devenues classiques où l'on se plaît à reconnaître les échos du violoncelle de Pier Luigi Nervi formes que je suis enclin à approuver d'autant plus volontiers que j'y retrouve le reflet de l'idée d'un mât diagonal esquissée par Le Corbusier 50 ans plus tôt pour un stade à Moscou, idée que j'avais reprise moi-même quelque temps plus tard avec René Sarger et Jean Prouvé au Pavillon français de l'exposition de Bruxelles et qui ouvrait peut-être la croisade de notre sympathique confrère Claude Parent pour une architecture oblique dont on pourrait voir les premiers symptômes dans les tours penchées de Bologne et de Pise. C'est une des grandeurs de notre art que cette communion des idées qui nous invite chacun à la modestie pour nous-mêmes et à la fierté pour lui.

Votre réalisation de Montréal a donné à l'évidence une synthèse de ces recherches et ne s'est pas bornée à leur démonstration : le talent avec lequel vous avez, dans un espace restreint par la réglementation même de la direction des jeux, su résumer le programme, mérite tous les éloges. J'ai parlé plus haut des coquillages de Deauville, vous avez à Montréal inventé des formes qui allient le règne des crustacés à celui des vertébrés, et même à celui des mammifères, je m'explique : - Votre œuvre touche aussi l'âme humaine par votre façon de faire pénétrer la lumière du jour : j'y ai vu la trace des entailles du boulanger sur la croûte d'un pain, et René Barjavel en entrant sous cette croûte découvrant vos espaces encore vides des foules qui s'y sont succédé a écrit dans son lyrisme qu'il avait envie de s'y agenouiller. Cela veut dire que vous avez construit grâce à votre foi l'architecture d'une prière, la plus noble offrande de l'homme à son créateur, offrande qui vous fut rendue au centuple par les nombreuses distinctions échues de tous les points du monde dans vos bras chargés de fleurs - les énumérer serait trop prolonger mon discours bien que dans cette chapelle on puisse être tenté de lire des litanies : permettez-moi de n'en retenir qu'une : la Médaille d'or de la Société d'encouragement à l'Art et à l'Industrie, qui vous distingua entre tous depuis un siècle pour avoir osé et réalisé suivant les intentions de son fondateur Elphège Baude ce que l'on croyait jusque-là impossible, vos deux colauréats étaient Auguste Perret et Eugène Freyssinet - vous avez raison d'en être fier et nous en ressentons l'honneur puisque vous avez bien voulu venir dans notre Compagnie.

Chaque fois que vous arrivez, tout change ; le Grand-Palais a changé, le Canal de la Villette a changé, vous avez conseillé des princes qui ont eu l'esprit de vous écouter alors que vous aviez l'esprit de changer les choses sans qu'il y paraisse : le canal est resté un miroir d'eau et la voûte de Gustave Eiffel sous laquelle mon enfance a vu s'épanouir les salons de l'automobile et de l'aviation sous les inventions lumineuses de Charles Granet et s'emballer à sons de trompes de chasse les concours hippiques est devenue un peu basse de plafond, sans rien casser ni nous faire oublier vos prédécesseurs, Louis Madeline, mon maître, Pierre Vivien mon camarade, ni surtout Reynold Arnould mon ami, en passant par vos inspirateurs, les ministres J.-Ph. Lecat et André Malraux notre poète national. Et vous êtes aujourd'hui responsable, après nos amis Jean Faugeron et Jean de Mailly, du Palais de Chaillot, œuvre de notre cher et grand Jacques Carlu, qui vous remit il y a 12 ans, lorsqu'il présidait notre Académie, la grande médaille d'argent de la création architecturale que l'Académie d'architecture que je présidais alors vous avait décernée. Ces conservations, qui ne sont pas des sinécures, ne vous empêchent point de voyager : vous m'avez dit avoir en une année traversé 75 fois l'Atlantique, plus qu'un de vos compagnons de croisière, le Ministre Kissinger, qui se croyait, avec ses 72 traversées, détenteur du record. Vous n'allez plus, comme on faisait autrefois, par monts et par vaux, mais vous survolez les continents et les mers, la vie errante qu'un Vauban menait à cheval par étapes de 10 lieues pour diriger les chantiers dès bastions qui gardaient le pré carré, mais cependant déjà hexagonal du Roi Soleil, la vie de l'homme pressé de Paul Morand, abonné des sleepings de l'Orient-Express qui mettait une semaine pour joindre Paris à Constantinople et des transatlantiques qui rejoignaient dans le même temps Le Havre et New York, vous la menez en sillonnant le ciel à des altitudes où vous dépassez la vitesse du son, et c'est dans ces hauteurs et ces accélérations que vous trouvez le calme de la tour d'ivoire des anciens penseurs : c'est en avion que vous écrivez vos livres, c'est là que vous trouvez le loisir d'aller à la recherche de votre temps perdu, - perdu et retrouvé grâce à la distance dont ces hauteurs vous invitent à surplomber les vues terre-à-terre de règlements mesquins et d'urbanisme timoré.

C'est ainsi que vous jugez avec raison qu'il n'y a aucune raison pour qu'une législation hypocrite réduise l'architecte au rôle limité et cependant responsable de marchand de dessins - et que Paris doté à l'Est et à l'Ouest, dans la vallée de son fleuve, de deux grands parcs, devrait en gagner deux autres au Nord et au Sud, fallût-il pour cela changer son relief et aplanir des montagnes certes moins escarpées que celles où vous avez construit et moins inexpugnables que les donjons de l'administration - mais vous pensez à bien d'autres projets. Pour vous il est évident que bientôt la création de plates-formes indispensables aux relais des explorations astrales exigera la naissance de villes interplanétaires où l'architecture trouverait enfin des lendemains sans précédents archéologiques.

En attendant ce futur inspirant vers les ailleurs, vous agissez dans le présent avec une déjà merveilleuse ubiquité qui vous conduit au-dessus des cinq parties du monde, pendant ces périples, une compagne attentive à votre foyer aussi bien qu'à votre atelier et qui se prénomme Béatrice comme l'éternel féminin attendu et non atteint du poète florentin trop timide, vous attend comme Pénélope sans défaire sa tapisserie, mais en tissant sur votre trame le fil continu de vos idées, jusqu'au fil du téléphone qui sur les fuseaux tournants des heures vous fait appeler en pleine nuit par des maires, des présidents, des princes et des rois qui sont en plein jour pour vous demander de leur construire, aux antipodes, des stades, des palais, des usines, des universités ou des villes - sûr que votre tapisserie reste au métier, porté par votre tapis volant vous rejoignez, après l'Amérique et l'Afrique, Aladin et son Arabie natale dont les parfums depuis Lady Macbeth ont pris l'odeur d'une essence aux effluves moins capiteuses mais aussi éphémères qui accomplissent la quintessence des alchimistes en créant l'illusion de l'or et celle hélas des anarchistes en créant des explosions comme tout ce qui est volatil.

Vous vous intéressez à tout ce qui concerne les énergies nouvelles et vos projets pour des centrales nucléaires évoquent, ainsi que l'a remarqué votre apologiste René Huyghe, les tourbillons de l'eau qui ont fasciné l'ingénieur Léonard de Vinci avant le dessinateur Hokusai et les peintres Claude Monnet et Alfred Manessier. Tourbillons de l'eau, tourbillons pu vent, forces cosmiques, comme Eugène Beaudouin vous prodiguez les vôtres autour du monde. Vous allez prononcer l'éloge de cet homme d'un format peu commun qui était le symbole de l'atelier Pontremoli, vous, élève de Noël Lemaresquier, à qui vient de succéder Bernard Zehrfuss, autre brillant élève de Pontremoli, je vois en ces circonstances dans ce chassé croisé des familles rivales le signe œcuménique de leur réconciliation dans le sein de notre Académie qui honore par cet échange électif la générosité et la passion de deux maîtres qui ont mérité la plus belle de toutes les absolutions : vous serez sauvés parce que vous avez aimé. Vous alliez en vous l'amour, la passion et le dynamisme des uns et des autres, et de ceux qui vous ont précédé à ce quatrième fauteuil qu'ils ne considéraient pas comme un siège de repos, mais comme un poste de combat : vous ne venez pas vous asseoir sur leurs genoux, mais vous dresser en avant d'Etienne Louis Boullée, de Jacques Denis Antoine, de Victor Baltard et de Charles Garnier.

Je suis heureux de vous accueillir au nom de nos confrères dans cette maison qu'ils ont illustrée, vous allez prendre leur relais pour nous aider, ainsi que le propose le beau titre d'un livre que vous avez écrit, à construire l'avenir.




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